IEF…

13 10 2011

L’instruction à domicile : la famille meilleure que l’école ?

Par Delphine Gazzabin

Éloge sans partage de l’instruction assurée par les parents, en regard d’une école vue comme source d’angoisse et de démotivation. Des propos qui appellent, pour le moins, de sérieuses discussions sociologiques !

On estime à 40 000 en France le nombre d’enfants qui reçoivent leur instruction en famille (IEF), un chiffre en constante augmentation. Il s‘agit de familles n’ayant jamais scolarisé leurs enfants ou les ayant retirés de l’école. Ils suivent des cours par correspondance (par le CNED ou des cours privés), ou bien des pédagogies particulières (Montessori, Freinet, Steiner…). D’autres « homeschoolers » se servent de divers supports piochés ça et là, manuels scolaires, cahiers de devoirs, logiciels d’apprentissages… Enfin, pour les « unschoolers », l’apprentissage est « libre et autogéré » [1] : on laisse au vécu quotidien le soin de faire acquérir à l’enfant par lui-même diverses connaissances.

Nous sommes tous des IEF

Notons d’abord que chaque famille, y compris celle d’enfants scolarisés traditionnellement, pratique l’IEF sans même en avoir conscience. La « culture familiale » est le départ de l’instruction en famille. L’enfant apprend par imitation et les parents ne doutent pas de leurs capacités à transmettre le langage, la marche, le jeu et les normes rituelles de leurs familles.
À chaque geste, les conseils se prodiguent, chacun devant faire le bon choix pour ne pas devenir un « mauvais parent »… Chacun peut raconter comment il a acquis tel ou tel savoir-faire auprès d’un parent ou d’un autre membre de sa famille ou d’un voisin. Apprendre à cuisiner ou faire du vélo, apprendre à jardiner ou bricoler, apprendre à naviguer sur internet ou utiliser une clef USB… C’est de l’instruction en famille et chacun est certain de sa compétence, tant que l’école ne s’empare pas du sujet. La curiosité de l’enfant, la passion de l’adulte, la nécessité des circonstances sont le terreau le plus propice aux passations de savoir -faire et savoir-être.
Pas de sentence, de points, de compétition, juste le temps, l’envie et la présence.

L’apprentissage idéal

Si le schéma d’instruction en famille semble loin de pouvoir aborder le contenu des programmes scolaires dans l’ordre établi par le protocole de l’éducation nationale, il donne en revanche tout son sens à l’apprentissage. L’enfant sait pourquoi il se questionne, il attend la réponse pour combler un besoin : la contrainte extérieure est remplacée par la motivation intrinsèque, l’enfant est au coeur de l’apprentissage.
Fréquemment l’apprentissage est autonome et indépendant. Les parents découvrent au gré des circonstances et dialogues, les connaissances que l’enfant s’est approprié par lui-même.
Le raisonnement de l’enfant lui est propre et son apprentissage arborescent crée des connexions et des liens entre des faits, des apprentissages, que nous classifions d’ordinaire dans des matières biens distinctes. L’instruction en famille ne catégorise pas les connaissances, c’est l’enfant qui assemble et recoupe ses apprentissages lui-même en fonction de ses intérêts et de ses raisonnements. On entend parler d’apprentissages transversaux : l’IEF pratique cela quotidiennement. Cuisiner revient à faire de la chimie mais aussi des maths et de la biologie à la fois !
Dans l’IEF, il n’y a pas de jugement posé sur l’activité de l’enfant, jeu ou travail. Pour un enfant de deux ans, monter une pyramide de cubes est une activité sérieuse. De même à dix ans monter un systéme hydraulique dans le ruisseau avec un moulin et un barrage est une activité sérieuse. Selon le regard que l’on pose et l’attitude adoptée l’activité devient le support d’un échange de connaissance et la source d’une recherche non plus seulement « un jeu d’enfant ». L’enfant découvre par lui-même des lois physiques, il les expérimente, se questionne, rencontre des difficultés et l’adulte peut lui proposer de chercher avec lui des solutions, des réponses : visiter un vrai moulin, regarder un reportage sur les barrages en construction, parler avec une personne travaillant dans le domaine, faire une recherche internet, aller trouver un livre en bibliothéque….de là on peut aborder les grands ouvrages hydrauliques dans le monde (un peu de géographie), l’évolution des techniques (l’histoire des progrès techniques), les problèmes liés au manque d’eau ou aux crues (histoire des peuples, actualités récentes).

Parents pédagogues

L’adulte est attentif à l’enfant, il est à son écoute, prend le temps d’être avec lui et lui propose des apprentissages qui l’intéressent particulièrement. Il perçoit jusqu’où l’enfant est capable d’aller dans l’approfondissement du sujet sans perdre son attention.
Par exemple, une grossesse dans la famille ou un deuil permet d’aborder les sujets éthiques, et la biologie a un rythme et un degré bien différents de ceux imposés par les programmes. Les circonstances de vie quotidienne sont sources de questionnement pour l’enfant et donc relié directement à son affect pas seulement sa curiosité intellectuelle.
Les relations parents/enfants et les relations de fratries permettent l’apprentissage de la gestion des conflits avec une approche constructive. En IEF on ne peut pas « couper les ponts » en changeant d’école, ou de banc, on ne peut pas se permettre de s’enfoncer dans une dispute, la résolution des conflits s’impose par le dialogue, la négociation, l’écoute, le respect. Les relations affectives et les liens familiaux exigent la résolution de conflit pour que chacun et tous soient heureux de vivre ensemble. La solidarité et la complémentarité se développent, la concurrence, la compétition s’estompent.

Être curieux pour rendre curieux

Ce type d’Instruction parie sur la capacité de l’adulte à revoir son schéma d’apprentissage et son rapport à l’enfant : apprendre à faire confiance à l’enfant et à soi-même pour avancer à un rythme qui est variable dans le temps et sans matière vraiment très distincte. Chercher les supports, les sorties qui apporteront des éléments de réponses à l’enfant. S’investir personnel en temps, énergie, et finances.
L’adulte se voit poussé à reprendre une attitude curieuse et à ouvrir ses horizons, chercher des réponses aux questions que l’enfant lui pose, avouer son ignorance et repartir sur les sentiers de l’instruction !

Contrôle social

Pour les parents, il faut gérer la pression due au contrôle social et pédagogique, où l’adulte (et l’enfant) aura affaire à des personnes ayant une opinion sur l’IEF parfois négative.
Affronter ces inspections et faire comprendre le fonctionnement de l’enfant, et de la famille, apporter des preuves de l’instruction donnée alors que l’écrit n’a pas une place prépondérante dans l’IEF et qu’il n’y a pas de contrôle sur table à présenter, relève d’un défi parfois très complexe.
Pour être précis et complet il faudrait noter minute par minute les questions de l’enfant, les échanges verbaux. L’adulte s’astreint donc à garder des traces, des livres empruntés, des outils pédagogiques utilisés, des photos des activités, les billets des sorties, des dessins, de quelques écrits ou collages. Des traces peu représentatives du contenu réel de ce que l’enfant a abordé. Et évidemment, cette complexité se renforce avec le nombre d’enfants instruits en famille.

Quel bilan ?

Des études menées par Shyers [2] et Thomas Smedley [3] sur des groupes d’enfants scolarisé et d’autres enseignés à la maison, concluent que « les enfants enseignés à la maison sont bien équilibrés socialement et les enfants de l ’école traditionnelle peuvent ne pas l’être. » (Shyers)

Une famille dans laquelle les deux parents travaillent voit leur enfant passer 70 % de son temps d’éveil en présence d’autres personnes et ce dès l’âge de 3 mois (nourrice, crèche, école, colonie, centre aéré, garderie, cantine).
Il paraît difficile, alors de parler de vécu de la parentalité et de lui associer un rôle prépondérant dans l’évolution de l’enfant au vu du peu de temps qu’elle a pour se vivre. Continuer de considérer la famille comme l’instance de socialisation primaire, dans une configuration pareille, devient à mon sens, discutable.
Le choix de confier son enfant à d’autres influe sur le fonctionnement familial, comme le souligne Philippe Perrenoud [4] : la scolarité pèse lourd sur la vie des familles : « dans notre société, le destin d’une famille est pour une part lié à la scolarité de ses enfants ; dès la naissance, parfois avant, l’école pointe son nez à l’horizon familial et devient pour, dix, quinze, vingt ans, quarante semaines par an, cinq à six jours par semaine, une composante de la vie quotidienne ; pendant que les enfants progressent dans le cursus, la famille s’organise en partie, bon gré, mal gré, en fonction des horaires, des échéances et des exigences fixées par l’école, des dépenses et du travail qu’elle exige, des jugements qu’elle porte, des décisions qu’elle prend, des tensions et des espoirs qu’elle fait naître chez l’enfant et ses proches. »

A moins que…

Une alternative est possible : certains systèmes éducatifs se sont approprié le fonctionnement de l’apprentissage libre et auto-géré, du respect des rythmes et de l’individualité propre à chaque enfant.

« Une récente étude place l’Australie en troisième position pour les résultats scolaires, […]
Les méthodes d’enseignement diffèrent de celles de France en ce sens que l’enfant est incité à découvrir les règles plutôt que de les apprendre par coeur et les appliquer.
Il n’y a pas non plus de niveau type pour une classe. Chacun apprend à son rythme et celui qui est en avance se verra encouragé alors que celui qui ne suit pas ne sera pas brimé. Les classes peuvent avoir donc des bons comme des mauvais et chacun avancera à son rythme. Ce qui semble donner aux Australiens le goût de la recherche et des capacités accrues à se débrouiller seul en étant pratiques et pragmatiques. »
 [5]

On ne peut pas instruire sans éduquer ni éduquer sans instruire.
La réussite de l’IEF peut inciter l’école à changer de fonctionnement, et peut inciter les parents à se questionner sur leur parentalité.

Controverses

On nous demande parfois si nous n’ignorons pas que la séparation parents-enfants (avec la maternelle, l’école primaire, les voyages scolaires…) est nécessaire selon les psychologues.
Je crois qu’il est bon de recontextualiser le discours des psychologues. Vivre ensemble ne signifie pas vie en co-dépendance totale, ni ne pas savoir vivre sans l’autre. La question de la séparation n’est pas absente de l’IEF, elle se pose en d’autres termes : celle de la volonté et de l’acceptation de l’enfant et surtout de la gestion affective de celle-ci.
Les diverses cultures qui nous environnent nous proposent des schémas familiaux de proximité ou séparation bien différents de ce que nous vivons. Chez les Japonais les adolescents dorment encore avec leurs parents… c’est culturel….et ce n’est pas perçu comme malsain ou fusionnel.

Que dire des crises de larmes de maternelle, des angoisses des enfants, leurs résignations, les pleurs cachés des parents devant cette souffrance ?
Tout comme un jour l’enfant lâche la main pour marcher seul, un jour il se sent prêt pour aller dormir ailleurs, puis ensuite partir quelques jours… c’est son histoire, ses besoins, son ressenti, son rythme d’évolution qui le laisse libre de rester ou de partir, ce ne sont pas des contraintes d’âge…. Ni de discours psychologiques…. Les adolescents vivent cette période de manière différente, bien moins en rébellion et plus en proximité avec leurs familles…. Le cocon familial est un lieu protecteur et lieu ressource, que l’on quitte quand on se sent prêt et qui ne nous pousse pas dehors trop tôt !
Les familles sont rarement opposées au système envers et contre tout. Si l’enfant retourne à l’école ceci n’est pas un échec pour l’IEF. Des circonstances de vie peuvent y contraindre, ou des choix de l’enfant pour vivre cette expérience…

Delphine Gazzabin, mère instruisant en famille.


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